La question du placement en EHPAD est délicate : qui le décide, quand s’impose-t-il ? Autant de dilemmes que les personnes âgées et leurs familles peuvent rencontrer lorsque la perte d’autonomie s’installe. La loi reconnaît le droit de toute personne âgée à choisir son lieu de vie. Elle réaffirme régulièrement la nécessité d’un consentement éclairé avant l’entrée en maison de retraite. Toutefois, des solutions existent lorsque le senior n’est plus en mesure de faire ce choix pour lui-même et que le maintien à domicile est menacé.
Qui décide du placement en EHPAD ? Le cadre juridique décrypté
La décision liée au placement en EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) se pose souvent à un point donné dans la vie d’un aîné. Si le maintien à domicile est naturellement la solution privilégiée par la plupart des seniors, il existe maintes situations pouvant le compromettre. Isolement, maladie, dépendance… Autant d’événements de la vie susceptibles de menacer le quotidien.
Mais, même si le maintien à domicile devient dangereux ou inadapté, de l’avis des proches ou du médecin, une entrée en maison de retraite reste un choix personnel.
Le placement en EHPAD ou en résidence senior est en effet encadré par la loi française pour protéger les droits et la dignité des personnes âgées.
Le choix du cadre de vie — un droit énoncé dès 1987
La « charte des droits et libertés de la personne âgée en situation de handicap ou de dépendance » affirme le droit de la personne âgée de choisir aussi bien son mode de vie que son cadre de vie. Élaborée par la Fondation Nationale de Gérontologie (FNG) et le ministère des Affaires sociales en 1987, puis révisée en 2007, elle énonce :
« Choix de vie — Toute personne âgée devenue handicapée ou dépendante est libre d’exercer ses choix dans la vie quotidienne et de déterminer son mode de vie.
Cadre de vie — [Elle] doit pouvoir choisir un lieu de vie — domicile personnel ou collectif — adapté à ses attentes et à ses besoins. »
Le consentement éclairé au placement en EHPAD
Le libre choix du cadre de vie est garanti par la nécessité de recueillir le « consentement éclairé » de la personne âgée à sa prise en charge.
Cette obligation est énoncée par la loi du 2 janvier 2022 rénovant l’action sociale et médico-sociale. Le texte vise à garantir les droits et libertés individuels des usagers des établissements et services sociaux et médico-sociaux (maisons de retraite, services d’aide à domicile…).
L’article L. 311-3 du code de l’action sociale et des familles affirme ainsi que le consentement doit être « systématiquement recherché » lors de l’entrée en EHPAD.
La loi précise que c’est le cas « lorsque la personne est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision ».
Dans les autres cas, l’admission en maison de retraite n’est possible que dans des conditions bien spécifiques.
Des dispositifs pour protéger les droits du futur résident
Plusieurs outils ont été créés par cette même loi pour garantir les différents droits des résidents, notamment :
- la conclusion d’un contrat de séjour ou d’un document individuel de prise en charge, élaboré avec la participation de la personne âgée (article L311-4 du CASF),
- la remise d’une « charte des droits et libertés de la personne accueillie ». Ce document, qui fait partie du livret d’accueil en EHPAD, réaffirme la nécessité de recueillir le consentement du futur résident.
L’entretien de préadmission garant de l’adhésion du senior à son accueil en EHPAD
Au fil des ans, plusieurs lois sont venues renforcer la liberté de la personne âgée quant au choix de son lieu de vie et à la nécessité de recueillir son consentement :
- la loi du 5 mars 2007 relative à la protection des majeurs, déclarant que « la personne protégée choisit le lieu de sa résidence » (article 459-2 du Code civil). Autrement dit, même une personne sous tutelle peut s’opposer au placement en EHPAD. Il faudra l’intervention du juge ou du conseil de famille, si ce refus pose des difficultés ;
- la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement. Elle souligne que : « la personne âgée en perte d’autonomie a droit à des aides adaptées à ses besoins et à ses ressources, dans le respect de son projet de vie ».
La loi de 2015 va plus loin en exigeant la tenue d’un entretien de préadmission avec le futur résident pour la conclusion du contrat de séjour. Le directeur de l’EHPAD ou son représentant doit rechercher le consentement de la personne âgée. Il doit l’informer de ses droits et vérifier qu’elle les comprend.
En principe, cet entretien se fait sans les proches, pour réduire la pression qu’ils pourraient exercer sur le senior. Le médecin coordonnateur de l’EHPAD peut aussi participer à cet entretien. Il peut ainsi expliquer au senior ce qu’implique son accueil en maison de retraite médicalisée. La personne de confiance peut aussi y assister, si le senior le souhaite.
La loi du 4 mars 2002 relative au droit des malades
Une personne âgée malade « a le droit d’être informée sur son état de santé », comme le rappelle la loi du 4 mars 2002. Ce droit ne se limite pas aux décisions purement liées aux traitements. Il exerce une influence sur les choix du senior en matière de prise en charge à domicile ou en maison de retraite.
Le placement en EHPAD est souvent la solution préconisée par l’équipe médicale, à l’issue d’une hospitalisation, lorsque l’état de l’aîné ne semble pas lui permettre de rentrer chez lui. Mais tout senior en pleine possession de ses capacités mentales a le droit de savoir ce qu’implique son état de santé en matière d’autonomie et de prise en charge. Lorsqu’il sait, par exemple, qu’il est à risque de chuter s’il retourne chez lui, il peut choisir s’il veut prendre le risque ou non.
La loi du 2 février 2016 relative à la fin de vie
La loi du 2 février 2016 relative à la fin de vie reconnaît par ailleurs que « toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement ».
Ainsi, un senior est en droit de décider qu’il veut rester chez lui quoi qu’il arrive. Parfois, il aurait pu recevoir un traitement approprié ou des soins palliatifs en EHPAD, grâce à une équipe soignante formée et à un environnement plus adapté qu’à domicile. Même dans ce cas, le placement en EHPAD n’est possible que s’il le décide, tant qu’il est en mesure d’exprimer son opinion.
Lorsqu’un senior ne peut pas donner son consentement au placement en EHPAD, qui décide ?
La loi indique clairement que l’entrée en EHPAD ne peut être décidée que par la personne âgée elle-même, tant qu’elle a toutes ses facultés cognitives. Même une personne faisant l’objet d’une mesure de protection juridique peut s’opposer à un placement en maison de retraite.
L’intervention du juge des contentieux de la protection
Il est toutefois possible d’aider une personne âgée incapable de donner son consentement parce qu’elle n’a plus toutes ses facultés. C’est le cas, par exemple, d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer ou de toute autre pathologie affectant son jugement.
L’article 459-2 du Code civil précise qu’« en cas de difficulté, le juge ou le conseil de famille s’il a été constitué statue. »
Autrement dit, pour placer une personne âgée en EHPAD sans son consentement ou contre son gré, il y existe deux conditions :
- la personne doit être mise sous protection juridique ou faire l’objet d’une habilitation familiale,
- il faut saisir le juge des contentieux de la protection (juge des tutelles) ou demander au conseil de famille de statuer.
Le respect des choix de vie du senior
Le juge cherche en général à respecter le droit de la personne âgée à choisir son lieu de vie. Lorsqu’elle a exprimé ou exprime encore (malgré une difficulté à comprendre son état) son désir de vivre à domicile, le juge tente d’abonder dans son sens.
Parfois, le maintien à domicile reste possible grâce à une adaptation du logement et à l’intervention de professionnels, mais il coûte cher… Le juge peut tout de même statuer pour la mise en place de ces solutions malgré l’effort financier qu’elles impliquent.
Un certificat médical est alors important pour permettre au juge de statuer sur la nécessité ou non d’ordonner un placement en EHPAD. Le cas échéant, il permet de démontrer que le maintien à domicile menace la sécurité du senior.
Comment procéder pour obtenir la mise sous protection juridique du senior ?
La demande de mise sous protection juridique d’une personne âgée peut être effectuée par :
- la personne à protéger elle-même,
- son conjoint, partenaire de PACS ou concubin,
- un parent ou allié,
- son protecteur (si le senior est déjà sous protection juridique et qu’il a besoin d’une mesure plus lourde),
- le procureur de la République (pour les autres personnes).
Pour éviter une mesure trop restrictive et plus longue à mettre en place, il est possible d’opter pour une habilitation familiale. Celle-ci peut être demandée par :
- la personne à protéger,
- les descendants (fils, fille, petits-enfants…),
- les ascendants (parents, grands-parents…),
- un frère ou une sœur,
- le conjoint, le concubin ou un partenaire de Pacs.
La « requête en vue d’une protection juridique d’un majeur (habilitation familiale ou protection judiciaire) » sera adressée au greffe du tribunal judiciaire. La demande doit être accompagnée d’un certificat médical circonstancié rédigé par l’un des médecins de la liste du procureur de la République.
Que faire en cas d’urgence, lorsque l’entrée en EHPAD s’impose ?
La mise en place d’une mesure de protection judiciaire ou d’une habilitation familiale peut être très longue. Or certaines situations exigent une solution rapide. Par exemple, à la sortie d’hôpital, lorsque la personne âgée ne peut pas retourner au domicile en raison de son état de santé, un placement en EHPAD est souvent la solution la plus adaptée.
En cas d’urgence, le juge des contentieux à la protection peut prononcer une sauvegarde de justice. Cette mesure provisoire est généralement la plus rapide à mettre en place. Pour permettre l’entrée en maison de retraite, le juge désignera un mandataire spécial chargé spécifiquement de représenter le senior pour son admission.
La sauvegarde de justice peut aussi être demandée par un médecin. Celui-ci, généraliste ou spécialiste, effectue alors une déclaration auprès du procureur de la République du lieu du traitement. Il doit joindre l’avis d’un psychiatre justifiant la nécessité de la protection.
Ainsi, si le médecin d’un service hospitalier constate qu’un patient a besoin d’être placé en EHPAD à sa sortie, il peut demander une sauvegarde de justice médicale. Naturellement, celle-ci peut être sollicitée uniquement si le patient a perdu ses facultés mentales ou physiques d’une manière qui l’empêche d’exprimer sa volonté quant à sa prise en charge. Toutefois, le médecin d’un établissement sanitaire ou médico-social n’a pas besoin de joindre de certificat d’un psychiatre.
Comment savoir si un proche a réellement besoin d’être placé en EHPAD ?
Décider du placement en EHPAD d’une personne âgée incapable de s’exprimer ou s’y opposant n’est jamais une chose simple.
Pour de nombreux aidants, la décision quant à l’entrée en établissement est ressentie comme une lourde responsabilité ou entraîne une certaine culpabilité.
Plusieurs situations peuvent soulever la question du placement :
- une perte d’autonomie croissante, avec des risques d’accidents domestiques,
- l’isolement, après la perte du conjoint ou un déménagement des proches,
- le déclin des facultés cognitives et la désorientation, découlant d’un trouble neurodégénératif comme la maladie d’Alzheimer,
- une maladie soudaine, avec hospitalisation et prise en charge plus lourde…
En cas d’hésitation, les aidants peuvent s’adresser au médecin traitant ou à l’assistance sociale du service hospitalier. Leur rôle n’est pas de décider à la place du senior et de sa famille, mais d’octroyer un maximum d’informations et de soutien pour permettre une décision éclairée.
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