« On ne peut donner que deux choses à ses enfants : des racines et des ailes », affirme un proverbe yiddish. C’est l’une des raisons d’être des relations intergénérationnelles entre nos aînés et les tout petits.
Julien Dagbert a repris cet adage à son compte. Le maire de Barlin, commune de 7 700 habitants dans l’ex-bassin minier du Pas-de-Calais, a eu l’idée innovante d’installer une école maternelle au sein d’un EHPAD[1]. La structure devrait voir le jour à partir de Janvier 2023.
L’intergénérationnel : une relation gagnant-gagnant entre aînés et enfants
Cap Retraite : Bonjour Monsieur, merci beaucoup de nous consacrer quelques instants. Qui est à l’origine de cette initiative de création de classes élémentaires au sein d’un EHPAD ?
Julien Dagbert : Il s’agit d’une initiative conjointe entre ma commune, Barlin, et le gestionnaire de l’établissement, l’AHNAC, l’association hospitalière Nord Artois clinique.
Nous collaborons depuis 2018 autour du projet « Bien vieillir à Barlin » où plusieurs axes ont été déployés, notamment celui de l’intergénérationnel.
CR : Pourriez-vous définir votre projet ?
JD : Nous avons transféré deux classes de maternelle de la commune, la petite et la moyenne section, dans un établissement qui comprend deux structures : un EHPAD et une résidence autonomie.
Cela me tenait à cœur, après la diffusion à la télévision d’un documentaire, en octobre 2020. Celui-ci, Une vie d’écart, présentait la mise en relation, pendant six semaines, d’enfants de grande section de maternelle avec des résidents d’EHPAD. Chacun bénéficiait de la présence de l’autre, les seniors tout comme les plus jeunes.
Je me suis dit qu’il fallait agir en ce sens et poursuivre la démarche au sein de la structure. Je voulais tenter l’expérience.
Un large soutien aux relations intergénérationnelles entre élèves et seniors
Cap Retraite : Avez-vous des attentes sur ce projet ?
Julien Dagbert : Nous espérons d’autres initiatives de ce type. Bien sûr, ce projet en est encore au stade expérimental sur la commune de Barlin. Cependant, il pourrait être reproduit (et pourquoi pas ?) généralisé dans d’autres communes de France. Certaines s’y intéressent.
Nous avons d’ailleurs obtenu très rapidement le feu vert de l’Éducation nationale. L’État nous soutient et nous accorde encore des subventions.
Le projet démarrera en milieu d’année scolaire, en janvier 2023. Nous pourrons alors établir le bilan des six premiers mois très rapidement, au terme de l’année scolaire.
CR : Quels enfants sont concernés ?
JD : Il s’agit d’enfants qui débutent tout juste leur scolarité jusqu’à leur entrée en école primaire. Ils auront donc entre 2 ans et demi et 6 ans. Nous allons gérer les classes de maternelle : petite section, moyenne section et grande section.
Après ces classes, la dynamique et les apprentissages changent : les élèves d’école primaire sont attablés et écrivent…
Nous tenons vraiment à favoriser l’intergénérationnel autour d’activités. Les activités de motricité par exemple entre seniors et petits sont assez concordantes. Notamment, les intervenants de gymnastique douce pour les seniors présentent à peu près les mêmes mouvements aux enfants de maternelle.
Pour ces âges, nous voyons vraiment un intérêt d’interconnexion.
Une relation mutuelle aux effets bénéfiques pour la santé mentale
Cap Retraite : Quels seront les effets à terme pour les seniors ?
Julien Dagbert : D’après les études réalisées dans le cadre du documentaire, nous pouvons constater des effets importants sur la mémoire, les repères spatio-temporels.
Le projet réintroduit une temporalité chez les personnes âgées : l’heure de la récréation, les bruits dans la cour… Cela ralentit aussi les symptômes de certains troubles cognitifs. De même, les seniors élargissent leur vie sociale.
Les effets bénéfiques concernent également les enfants. Nous travaillons avec une pédiatre qui confirme la bonne santé mentale des plus jeunes. Ils ont une meilleure concentration, une écoute et une attention portée au public senior. C’est très positif pour les deux publics.
Actuellement, le projet est développé au sein de la résidence. Il s’agit cependant d’ouvrir cet espace sur la ville.
Le projet réintroduit une temporalité chez les personnes âgées
Une nouvelle perception des seniors dès le plus jeune âge
Cap Retraite : Les rapports des enfants aux seniors changent-ils ? Dans la société, la personne âgée est perçue comme vulnérable et parfois exclue. Or, un enfant qui n’a pas connu ses grands-parents peut ressentir comme une déconnexion. Est-ce un moyen de reconnecter les anciennes générations aux nouvelles ? Souhaitez-vous créer un espace moteur d’intégration des seniors dans la vie sociale et dans la vie active ?
Julien Dagbert : Cette reconnexion est l’un des axes forts du projet. Il s’agit véritablement pour les seniors de renouer avec la vie de la commune et la vie sociale.
Cela permet au jeune public qui n’a pas forcément connu ses arrière-grands-parents ou ses grands-parents, d’appréhender des relations avec des seniors. Les petits sont confrontés à des personnes qui vieillissent et peuvent être en perte d’autonomie.
Il s’agit également de changer le regard porté sur ces personnes et ce type d’établissement. C’est un vrai défi que nous lançons ici.
CR : Avez-vous rencontré des difficultés à monter ce projet ?
JD : Dès la genèse du projet, nous avons dû recueillir toutes les autorisations nécessaires pour les deux structures : directeur de l’Éducation nationale de l’académie de Lille, accords des représentants du conseil d’école et des représentants du comité de vie de l’EHPAD.
Il s’agit plus d’hésitations de la part des parents, ce qui est compréhensible, que de freins : problématique de sécurité, de relations avec les seniors.
Certains résidents sont très favorables au projet. D’autres préfèrent être tranquilles et ne souhaitent pas bénéficier de cette mise en relation. Nous tenons essentiellement à ne pas forcer l’acceptation de la démarche. Il s’agit davantage de convaincre, de proposer au fil du temps de rejoindre le projet.
Les six prochains mois seront consacrés aux travaux d’aménagement des bâtiments. Une salle d’animations va être transformée en deux salles de classe, grâce à des subventions obtenues.
Si des communes ou des établissements souhaitent se lancer dans cette belle aventure, nous avons des soutiens financiers qui permettent d’en montrer la faisabilité.
Le respect du rythme de chacun au cœur de la démarche intergénérationnelle
Cap Retraite : Quand les enfants seront-ils en contact avec les seniors ?
Julien Dagbert : Les enfants sont toujours confiés aux enseignants. Les résidents n’ont pas à gérer les enfants pendant le temps scolaire. L’Éducation nationale reste prioritaire concernant les apprentissages et les programmes.
Les interactions auront lieu pendant les temps d’activité, dans une salle commune. Ce sera pour la préparation de la fête de fin d’année, les événements comme les anniversaires, ou encore les temps de récréation et de lecture par exemple.
Pour le reste, il s’agit d’une école qui peut être indépendante de l’établissement. Une séparation stricte peut avoir lieu, comme dans une situation de pandémie telle que nous l’avons connue.
CR : Et pour les seniors qui ne veulent pas participer ?
JD : Actuellement, la vie de l’établissement est très bien organisée. L’animatrice gère la structure à temps plein. Comme je l’ai dit, il ne s’agit pas du tout remettre en question les temps d’animation proposés aux résidents. Ceux qui ne souhaitent pas participer peuvent continuer avec l’animatrice dans le cadre habituel.
CR : Merci beaucoup pour votre temps et encore félicitations pour cette belle initiative.
Lorsque certains acteurs du secteur gérontologique aimeraient que nous parlions de maintenir l'autonomie plutôt que de traiter la dépendance[2]; cet initiative portée sur l'intergénérationnel, ajoute une dimension nouvelle. Outre l'autonomie d'une personne âgée, il est aussi question de son inclusion et de son rôle au sein de la société.
Dans un monde de consommation où le senior en perte d'autonomie est souvent perçu comme "inutile" et est marginalisé; les échanges intergénérationnels sont capables de faire changer les mentalités. L'homme vieux est riche d'enseignements, il détient un rôle de transmission. Un héritage essentiel pour l'épanouissement et la bonne marche des générations futures.
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SERVICE GRATUIT & SANS ENGAGEMENT
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[1] EHPAD
Les EHPAD sont des établissements médicalisés qui accueillent des personnes âgées qui ont besoin de soins médicaux réguliers et d’une aide dans leur vie quotidienne.
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[2] Dépendance
La dépendance de la personne âgée désigne le besoin d’aide pour réaliser les tâches de la vie quotidienne en raison de problèmes physiques ou mentaux.
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