Être aidant tout en travaillant représente un défi quotidien pour des millions de Français. Jongler entre responsabilités professionnelles et soutien à un proche fragilisé demande organisation et compréhension de l’entourage professionnel. En France, sur les 11 millions d’aidants, 4 millions sont salariés et doivent quotidiennement trouver l’équilibre entre ces deux rôles exigeants. Pourtant, beaucoup hésitent à aborder leur situation avec leur employeur par crainte de répercussions sur leur carrière. Voici comment briser ce silence et créer un dialogue constructif au travail.
Qu’est-ce qu’être aidant aujourd’hui ?
L’aidant familial est une personne qui apporte, à titre non professionnel, une aide régulière à un proche en situation de dépendance[1]. Cette définition, reconnue par la loi française depuis 2015, concerne des situations très diverses : parents d’enfants handicapés, enfants soutenant leurs parents âgés, conjoints accompagnant leur partenaire malade…
Ce rôle, souvent invisible, impacte considérablement la vie professionnelle. Rendez-vous médicaux imprévus, appels d’urgence, fatigue chronique : les répercussions sont multiples et peuvent affecter la concentration et la disponibilité au travail. Selon une étude récente, 60% des aidants actifs estiment que leur situation a un impact significatif sur leur vie professionnelle.
Comment préparer la conversation avec votre employeur
Avant d’aborder le sujet avec votre supérieur hiérarchique, une préparation minutieuse s’impose pour favoriser une discussion constructive et obtenir les aménagements nécessaires.
1. Identifiez clairement vos besoins et proposez des solutions
La première étape consiste à dresser un inventaire précis de vos contraintes et de vos besoins spécifiques.
- Évaluez votre situation en listant les tâches d’aidant qui impactent votre travail (rendez-vous médicaux réguliers, soins quotidiens, etc.)
- Anticipez les questions que pourrait poser votre employeur concernant votre disponibilité
- Préparez des propositions concrètes d’aménagement: télétravail partiel, horaires flexibles, temps partiel temporaire
L’objectif est d’arriver avec des solutions plutôt qu’avec des problèmes. Par exemple, si vous devez accompagner votre proche à des rendez-vous médicaux réguliers, proposez de récupérer ces heures à d’autres moments ou d’organiser votre travail différemment.
2. Choisissez le bon moment et le bon interlocuteur
Le choix du moment et de l’interlocuteur est crucial pour une communication efficace.
Privilégiez un entretien en tête-à-tête dans un cadre calme, en dehors des périodes de rush ou de tension dans l’entreprise. Selon la structure de votre organisation, déterminez qui est le mieux placé pour entendre votre situation: votre supérieur direct, le responsable RH, ou le médecin du travail qui est tenu au secret professionnel.
Demandez un rendez-vous spécifique en précisant qu’il s’agit d’un sujet personnel important, sans nécessairement entrer dans les détails avant l’entretien.
3. Informez sur votre situation sans vous justifier
Lors de l’entretien, adoptez une approche factuelle et professionnelle :
- Expliquez brièvement la situation de votre proche et vos responsabilités d’aidant
- Précisez l’impact concret sur votre organisation de travail
- Mettez en avant votre engagement professionnel et votre volonté de continuer à remplir vos missions
- Présentez les solutions que vous avez identifiées
L’équilibre est subtil : il s’agit d’informer sans transformer l’entretien en confidence émotionnelle, tout en restant authentique sur les défis que vous rencontrez.
Les avantages d’une communication transparente
4. Accédez aux dispositifs légaux grâce à une situation reconnue
Informer votre employeur vous permet d’accéder à plusieurs dispositifs prévus par la loi française:
- Le congé de proche aidant : d’une durée maximale de trois mois renouvelable (dans la limite d’un an sur l’ensemble de la carrière), ce congé peut être fractionné ou transformé en temps partiel. Depuis 2020, il est indemnisé par l’Allocation journalière du proche aidant (AJPA).
- Le congé de solidarité familiale : destiné aux salariés accompagnant un proche en fin de vie[2], il peut durer jusqu’à trois mois et être renouvelé une fois.
- Le don de jours de repos : vos collègues peuvent vous céder anonymement des jours de congés non pris.
- Le droit au télétravail : depuis la loi de 2018, les aidants font partie des publics prioritaires pour l’accès au télétravail.
Ces dispositifs ne peuvent être mobilisés que si votre situation est officiellement connue de votre employeur, d’où l’importance d’ouvrir le dialogue.
5. Évitez les malentendus avec vos collègues
Sans explication, vos absences ou votre manque de disponibilité pour certains événements d’équipe peuvent être mal interprétés par vos collègues. Une communication claire, dans le respect de votre vie privée, permet d’éviter les jugements hâtifs et de favoriser la compréhension.
Vous n’êtes pas obligé de partager tous les détails de votre situation avec l’ensemble de l’équipe, mais une information adaptée peut transformer l’incompréhension en soutien. Certains collègues pourraient même vous apporter une aide précieuse en partageant leur propre expérience d’aidant.
Mobiliser les ressources disponibles
6. Explorez les soutiens externes pour alléger votre charge
Au-delà de l’entreprise, de nombreuses ressources peuvent vous aider à mieux concilier vie professionnelle et rôle d’aidant :
- Les assistantes sociales, notamment celles rattachées à votre entreprise ou à votre caisse de retraite
- Les associations spécialisées comme France Alzheimer[3], l’APF France Handicap ou l’Association Française des Aidants
- Les plateformes de répit qui proposent des solutions de relais temporaire
- Les groupes de parole permettant d’échanger avec d’autres aidants
N’hésitez pas à mentionner ces ressources lors de votre entretien avec votre employeur pour montrer que vous cherchez activement des solutions pour équilibrer vos responsabilités.
Certaines entreprises ont développé des partenariats avec des services d’aide aux aidants (conciergerie, aide administrative, soutien psychologique). Renseignez-vous auprès de votre service RH pour savoir si de tels dispositifs existent dans votre organisation.
7. Prenez soin de vous-même
Le dernier conseil, mais non le moindre, concerne votre propre bien-être. L’épuisement est le principal risque pour les aidants qui travaillent.
Lors de votre échange avec votre employeur, n’hésitez pas à aborder :
- Votre besoin occasionnel de recourir au droit au répit, qui permet de faire appel à des services de relais
- Votre intérêt pour des formations spécifiques pour les aidants, qui peuvent être intégrées dans votre plan de formation
- L’importance de maintenir un équilibre personnel pour rester efficace professionnellement
De nombreuses entreprises prennent conscience que soutenir leurs salariés aidants est aussi un moyen de préserver leur capital humain et de prévenir l’absentéisme ou le présentéisme (présence physique mais efficacité réduite).
Témoignages et bonnes pratiques
Les expériences de dialogue réussi entre aidants et employeurs se multiplient. Marie, 42 ans, responsable marketing et aidante de sa mère atteinte de la maladie de Parkinson, témoigne: « J’ai longtemps hésité à parler de ma situation, craignant d’être considérée comme moins investie. Quand j’ai finalement abordé le sujet avec ma directrice, j’ai été surprise par sa compréhension. Nous avons mis en place deux jours de télétravail par semaine et un aménagement d’horaires qui me permettent d’accompagner ma mère à ses rendez-vous sans culpabilité. »
Côté entreprises, les initiatives se développent. Certains grands groupes ont créé des réseaux internes d’aidants, d’autres proposent des services de conciergerie ou des lignes d’écoute dédiées. Ces dispositifs restent encore minoritaires mais témoignent d’une prise de conscience progressive.
Le cadre légal en évolution
La législation française concernant les aidants s’est considérablement renforcée ces dernières années. En 2023, de nouvelles dispositions ont été introduites pour faciliter le recours au congé de proche aidant, notamment en simplifiant les démarches administratives et en élargissant le cercle des bénéficiaires.
En 2025, le projet de loi sur la dépendance devrait encore renforcer les droits des aidants actifs, avec notamment la création d’un « crédit temps aidant » permettant de cumuler des droits à absence tout au long de la carrière.
Ces évolutions législatives constituent un argument supplémentaire pour aborder sereinement le sujet avec votre employeur, qui a lui-même intérêt à se conformer aux nouvelles obligations légales.
Parler de sa situation d’aidant à son employeur n’est plus seulement une démarche personnelle, c’est aussi une façon de contribuer à la reconnaissance sociale de ce rôle essentiel. Les 4 millions d’aidants salariés représentent une réalité que les entreprises ne peuvent plus ignorer. En ouvrant le dialogue avec professionnalisme et préparation, vous participez à faire évoluer les mentalités et les pratiques dans le monde du travail. L’équilibre entre vie professionnelle et rôle d’aidant n’est pas un luxe mais une nécessité, tant pour les individus concernés que pour une société qui vieillit et qui doit repenser ses modèles de solidarité.
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[1] Dépendance
La dépendance de la personne âgée désigne le besoin d’aide pour réaliser les tâches de la vie quotidienne en raison de problèmes physiques ou mentaux.
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[2] Fin de vie
La fin de vie est la phase où une personne se prépare à la mort, avec un accompagnement pour soulager la douleur et offrir du confort.
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[3] Alzheimer
La maladie d’Alzheimer est une maladie qui affecte le cerveau, entraînant des pertes de mémoire et des difficultés à penser clairement, rendant progressivement les tâches quotidiennes plus difficiles.
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