L’aide sociale à l’hébergement (ASH) représente un soutien financier précieux pour de nombreuses personnes âgées ou handicapées. Mais cette aide n’est pas sans contrepartie. Des milliers de familles se retrouvent chaque année confrontées à une réalité méconnue : le département peut récupérer les sommes versées sur l’héritage du bénéficiaire. Face à cette situation, beaucoup se demandent s’il existe des moyens légaux d’éviter cette récupération qui peut parfois amputer considérablement un patrimoine familial. Quelles sont les règles qui encadrent ce dispositif et existe-t-il des exceptions permettant de protéger l’héritage ?

Comprendre l’Aide Sociale à l’Hébergement et son mécanisme de récupération

L’Aide Sociale[1] à l’Hébergement (ASH) est une prestation sociale accordée par les départements aux personnes âgées ou handicapées dont les ressources sont insuffisantes pour couvrir les frais d’hébergement en établissement. Contrairement à d’autres aides sociales, l’ASH n’est pas une allocation définitivement acquise mais une avance récupérable.

Le principe de récupération repose sur une logique simple : l’argent public avancé par la collectivité peut être récupéré lorsque la situation financière du bénéficiaire s’améliore ou, plus fréquemment, après son décès sur sa succession.

calcul du montant de l'ASH

Sur quoi porte exactement la récupération ?

La récupération de l’ASH s’effectue sur l’actif successoral net du bénéficiaire, c’est-à-dire la valeur des biens après déduction des dettes. Le département peut récupérer l’intégralité des sommes avancées sans limitation de montant ni de durée, ce qui peut représenter des sommes considérables après plusieurs années d’hébergement.

Par ailleurs, les donations effectuées dans les 10 ans précédant la demande d’aide sociale ou postérieurement à celle-ci peuvent faire l’objet d’une récupération. Cette disposition vise à éviter que des bénéficiaires ne se dessaisissent de leur patrimoine dans le seul but de percevoir l’aide sociale.

Les différents modes de récupération de l’ASH

Les départements disposent de plusieurs mécanismes pour récupérer les sommes versées au titre de l’ASH. Ces dispositifs sont strictement encadrés par la loi, notamment par le Code de l’action sociale et des familles.

La récupération sur la succession du bénéficiaire et auprès des légataires

C’est le mode de récupération le plus courant. À la mort du bénéficiaire, le département émet un titre de recette à l’encontre de la succession pour récupérer les sommes avancées. Cette récupération s’exerce dans la limite de l’actif net successoral, ce qui signifie que les héritiers ne sont jamais tenus de rembourser sur leurs deniers personnels.

Cette disposition concerne aussi les légataires universels, c’est-à-dire les personnes désignées dans un testament pour recevoir tout ou partie des biens du défunt.

Le notaire chargé de la succession a l’obligation légale d’informer le département du décès du bénéficiaire de l’ASH et de demander un état des sommes dues.

À noter : la récupération peut également viser un légataire particulier, c’est-à-dire une personne désignée par testament pour recevoir un bien précis (par exemple un appartement ou une somme d’argent). Dans ce cas, la récupération est limitée à la valeur du bien légué.

La récupération auprès des donataires

Les personnes ayant reçu des donations du bénéficiaire après la demande d’ASH ou dans les 10 ans la précédant peuvent être sollicitées pour le remboursement des aides versées, dans la limite de la valeur des biens reçus.

La récupération sur les contrats d’assurance-vie

Les contrats d’assurance-vie souscrits par un bénéficiaire de l’ASH peuvent également faire l’objet d’une récupération après son décès, mais à titre subsidiaire. Autrement dit, le département est en droit de récupérer les sommes versées dans le cadre de l’aide sociale si la succession et les donations étaient insuffisantes pour lui permettre de se rembourser entièrement. La récupération ne peut être faite que sur les primes versées après 70 ans. Les sommes versées avant 70 ans ne sont pas concernées par le recouvrement (sauf en cas de requalification en donation, lorsqu’il est prouvé que l’assurance-vie visait en fait à se dépouiller de son patrimoine).

S’il existe plusieurs bénéficiaire de contrats d’assurance-vie, la récupération de l’ASH est effectuée au prorata des capitaux transmis à chaque bénéficiaire.

📚 Exemple : récupération de l’ASH sur assurance-vie en cas de pluralité de bénéficiaires

Imaginons qu’un bénéficiaire de l’ASH avait souscrit deux contrats d’assurance-vie au profit de deux personnes différentes.

  • Premier contrat : au profit de Paul, avec un capital décès de 40 000 €, dont 12 000 € de primes versées après ses 70 ans.
  • Deuxième contrat : au profit de Sophie, avec un capital décès de 20 000 €, dont 8 000 € de primes versées après 70 ans.

À son décès, le montant que le département souhaite récupérer au titre de l’ASH est de 10 000 €.

  • Si la récupération était répartie uniquement selon le montant des primes versées après 70 ans, chacun devrait rembourser 5 000 €.
  • En réalité, la récupération est répartie proportionnellement au capital décès perçu par chaque bénéficiaire :
BénéficiaireCapital décèsPart dans le totalMontant de récupération à supporter
Paul40 000 €2/36 666,67 €
Sophie20 000 €1/33 333,33 €

Ainsi, Paul devra supporter environ 6 666 € de la récupération, et Sophie environ 3 333 €.

Existe-t-il des cas d’exonération à la récupération de l’ASH ?

La loi prévoit plusieurs situations dans lesquelles la récupération de l’ASH peut être limitée ou même totalement exclue.

Les héritiers protégés de la récupération

Certains héritiers bénéficient d’une protection contre la récupération de l’ASH, lorsque le bénéficiaire était une personne en situation de handicap (article L344-5 du Code de l’action sociale et des familles) :

  • le conjoint survivant est protégé de la récupération,
  • ses enfants et ses parents,
  • la personne qui a assumé la charge effective et constante de la personne handicapée

Ces exonérations visent à protéger les proches qui ont souvent déjà consenti d’importants sacrifices personnels et financiers pour s’occuper du bénéficiaire.

Sont également exemptés de la récupération (pour l’ASH versée à une personne handicapée) :

  • le légataire,
  • le donataire,
  • le bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie.

Les aides sociales non récupérables

Il est important de distinguer l’ASH d’autres aides sociales qui, elles, ne sont pas récupérables sur succession :

Cette distinction est fondamentale dans la stratégie de demande d’aides sociales, car elle peut avoir des conséquences patrimoniales importantes pour les héritiers.

Comment les donations et l’assurance-vie impactent la récupération ?

La gestion patrimoniale avant une demande d’ASH peut avoir des conséquences significatives sur l’étendue de la récupération future.

La réintégration des donations dans l’actif successoral

Les donations consenties par le bénéficiaire de l’ASH dans les 10 ans précédant sa demande ou après celle-ci sont présumées avoir été faites pour échapper à la récupération. Elles peuvent donc être réintégrées dans l’actif successoral pour le calcul de la récupération.

Cependant, il existe une nuance importante : la récupération sur donation ne peut s’exercer que dans la limite de la valeur des biens donnés à la date de la donation, sans tenir compte de leur éventuelle plus-value ultérieure, résultant des dépenses ou du travail du donataire.

Les particularités de l’assurance-vie face à la récupération

L’assurance-vie est souvent présentée comme un outil d’optimisation patrimoniale face à la récupération de l’ASH, mais cette protection est en réalité limitée :

  • Les primes versées avant 70 ans échappent en principe à la récupération, sauf en cas de requalification en donation déguisée
  • Les primes versées après 70 ans, euvent faire l’objet d’une récupération après le décès du bénéficiaire. Celle-ci est exercée à titre subsidiaire, c’est-à-dire après recouvrement sur la succession et les donations

La récupération concerne l’ensemble des contrats d’assurance-vie souscrits par le bénéficiaire, à hauteur des primes versées après 70 ans. En cas de pluralité de bénéficiaires, la récupération est ensuite répartie entre eux au prorata des capitaux reçus.

Différences des règles de récupération ASH pour les personnes âgées ou handicapées
Type de récupération
Personne âgée bénéficiaire (PA)
Personne handicapée bénéficiaire (PH)
Succession
✅ Oui
✅❌ Oui, sauf héritiers protégés*
Donations
✅ Oui
❌ Non
Legs
✅ Oui
❌ Non
Assurance-vie (primes après 70 ans)
✅ Oui
❌ Non
*Les héritiers protégés en cas de personne handicapée sont : le conjoint, les enfants, les parents et la personne ayant assumé de façon effective et constante la charge du bénéficiaire.

Que faire en cas de litige sur la récupération ?

Les contestations relatives à la récupération de l’ASH sont fréquentes, notamment en raison des enjeux financiers importants et de la complexité des règles applicables.

Le recours administratif préalable obligatoire

Avant toute action contentieuse, les héritiers qui contestent la récupération doivent obligatoirement exercer un recours administratif préalable auprès du président du conseil départemental. Ce recours doit être formé dans les deux mois suivant la notification de la décision de récupération.

Ce n’est qu’en cas de rejet de ce recours administratif que les héritiers pourront saisir le tribunal administratif.

Les délais de prescription pour la récupération

L’action en récupération exercée par le département est soumise à un délai de prescription de 5 ans à compter du jour du décès du bénéficiaire ou de la connaissance de ce décès par les services départementaux.

En pratique, ce délai ne protège les héritiers que si le département tarde à agir après avoir été informé du décès. À défaut, l’ignorance du décès par le département suspend le point de départ du délai.

Le rôle essentiel du notaire dans la gestion de la succession

Le notaire joue un rôle central dans le traitement des successions impliquant un bénéficiaire de l’ASH.

La déduction des charges liées aux aides sociales

Lors de l’établissement de l’actif successoral, le notaire doit prendre en compte les créances du département au titre de l’ASH comme des dettes de la succession. Ces créances viennent diminuer l’actif net successoral et donc potentiellement les droits de succession.

Le notaire doit vérifier l’existence d’éventuelles exonérations légales de récupération applicables à certains héritiers.

La notification de l’impossibilité de recouvrement

Lorsque l’actif successoral est déficitaire ou insuffisant pour couvrir l’intégralité de la créance d’aide sociale, le notaire doit en informer le département par une attestation d’insuffisance d’actif.

Cette attestation permet au département de constater l’impossibilité de recouvrement et de clôturer le dossier sans poursuivre les héritiers sur leurs biens personnels.

signature d'une attestation d'insuffisance d'actif

Stratégies légales pour limiter l’impact de la récupération

Plusieurs approches légales peuvent être envisagées pour atténuer l’impact de la récupération de l’ASH sur le patrimoine familial.

La planification successorale anticipée

Une stratégie patrimoniale bien pensée, mise en place suffisamment tôt, peut limiter considérablement l’impact de la récupération :

  • Donations effectuées plus de 10 ans avant la demande d’ASH
  • Souscription de contrats d’assurance-vie et versement des primes avant 70 ans

Ces dispositifs doivent cependant être mis en œuvre avec prudence pour éviter d’être requalifiés en fraude aux droits du département.

Le choix judicieux entre les différentes aides sociales

Dans certaines situations, il peut être préférable de privilégier des aides non récupérables comme l’APA plutôt que l’ASH, même si leur montant est parfois moins important. Ce choix doit être fait au cas par cas, en fonction de la situation personnelle et patrimoniale de la personne concernée.

Une évaluation précise des besoins réels d’hébergement et d’accompagnement est essentielle pour éviter de recourir inutilement à l’ASH.

Évolutions récentes et perspectives de la récupération de l’ASH

Le régime de la récupération de l’ASH fait régulièrement l’objet de débats et d’évolutions législatives.

Les réformes récentes

Ces dernières années, plusieurs ajustements ont été apportés au régime de récupération de l’ASH, notamment :

  • Le renforcement des exonérations pour les personnes handicapées et leurs aidants
  • La clarification des règles applicables aux contrats d’assurance-vie
  • L’encadrement plus strict des délais de récupération

Ces évolutions témoignent d’une volonté de trouver un équilibre entre la protection des finances publiques et le respect des situations familiales particulières.

Les perspectives d’évolution

Plusieurs pistes de réforme sont actuellement à l’étude pour moderniser le système de récupération de l’ASH :

  • L’harmonisation des pratiques entre les départements
  • L’extension des cas d’exonération
  • La simplification des procédures de récupération

Ces réformes potentielles pourraient modifier significativement l’approche de la récupération dans les années à venir.

Face à la complexité des règles de récupération de l’ASH, la meilleure protection reste l’anticipation et l’information. Une planification patrimoniale réfléchie, mise en place suffisamment tôt et respectant le cadre légal, permet de concilier l’accès aux aides sociales nécessaires et la préservation du patrimoine familial. L’accompagnement par des professionnels spécialisés – notaires, avocats ou conseillers en gestion de patrimoine – s’avère souvent indispensable pour naviguer dans ce domaine où droit social et droit successoral s’entremêlent étroitement.

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Commentaires (2)

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  1. Nicole Pagesy

    Mais, quand on a ignoré tout ce processus et qu’on a été sois même l’aidant de ses parents malades, que faire quand on est nous même vieux et malades et sans plus rien ?

    Répondre
    1. Amandine

      Bonjour

      Je vous remercie pour votre commentaire.
      Il vaut mieux en parler à un assistant social ou à un notaire, car tout dépend des aides perçues et des règles locales.
      Bonne journée.
      Amandine

      Répondre

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